Madam CJ Walker, la 1ère femme entrepreneure et millionnaire aux USA

« Je suis une femme originaire des champs de coton du Sud. De là, j’ai été promue blanchisseuse. De là, j’ai été promue cuisinière. Et de là, je me suis promue dans le business des produits cosmétiques et pour cheveux… J’ai bâti ma propre usine sur mon propre terrain ». Ainsi parlait Sarah Breedlove dite Madam CJ Walker.

Timbre à l’effigie de Madam CJ Walker

Il y a un siècle, cette femme noire extraordinaire, cette battante qui a tout défié, cette femme qui a tant lutté pour les siens, était une des plus puissantes personnes aux États-Unis. C’est de ce parcours incroyable, de cette personne modèle qui doit inspirer tant aujourd’hui encore, dont nous allons vous parler.

Une femme partie de rien

Sarah Breedlove naît en 1867 en Louisiane aux États-Unis. Elle voit le jour deux ans après la fin officielle de l’esclavage. Elle est le premier enfant de ses parents à être né après le travail forcé. Orpheline à 9 ans, elle grandit dans la pauvreté et suit sa sœur et le mari de celle-ci dans dans le Mississippi.

Maltraitée par son beau-frère, elle épouse rapidement à 14 ans Moses Mc Williams. 3 ans après elle devient mère de son unique enfant A’Lelia. A 19 ans elle est veuve, Moses ayant peut-être été lynché par les Blancs, comme tant de Noirs à l’époque.

Les lynchages de Noirs par des foules blanches pendant la ségrégation ont coûté la vie à des milliers d’Africains-Américains

Sarah Breedlove part pour Saint Louis plus au nord du pays auprès de ses frères. Elle travaille comme blanchisseuse et gagne la somme dérisoire d’1,50 dollars par jour. Elle vit avec sa fille dans une communauté noire chrétienne qui compte une classe moyenne émergente (médecins, avocats, homme d’affaires etc…).

Elle aspire alors à être respectée et épouse John Davis. Ce second mari la trompe de manière éhontée mais lui donne un statut social. Sarah Breedlove comme beaucoup de femmes noires d’alors commence à perdre ses cheveux. De ce problème, va naître son empire.

Dans le contexte de la suprématie blanche et de la beauté incarnée par la femme blanche, les femmes noires voulaient presque toutes avoir de bons cheveux, entendez des cheveux lisses. Le cheveu perçu comme beau à l’époque était un signe de haut rang social. Les femmes noires appliquaient donc toute sorte de produit corrosif comme de la soude pour se défriser, détruisant ainsi leur cuir chevelu. Par ailleurs, la malnutrition qui frappait tant d’Africains-Américains encore contribuait à la chute des cheveux. Perdre ses cheveux à l’époque était donc une catastrophe pour une femme noire car signe de pauvreté et de laideur.

Atteinte, Sarah Breedlove essaie plusieurs produits sans succès et commence à apprendre sur le sujet auprès de ses frères barbiers. A Denver, elle fait du porte à porte pour vendre les produits pour cheveux de l’africaine-américaine Annie Turnbo Malone et acquiert des connaissances en marketing. Elle rencontre le publiciste Charles Joseph Walker avec qui elle entame une relation et finit par développer son propre produit qui va faire fureur.

Le génie du marketing                                     

« Une nuit j’eus un rêve. Dans ce rêve, je priai pour que Dieu me vienne en aide et il exauça mon vœu. Un gros homme noir m’apparut. Il s’assit à côté de moi et me dit quels éléments mélanger pour élaborer une préparation qui guérirait mes cheveux. La plupart de ces ingrédients venaient d’Afrique. Le lendemain matin, je fis ce qu’il m’avait dit et appliquai le produit sur ma tête. Tous mes problèmes disparurent et mes cheveux repoussèrent en quelques jours. Je décidai alors de vendre cette préparation à toutes les femmes noires affligées des mêmes problèmes. »

C’est avec ce récit romancé et certainement inventé, que Sarah Breedlove raconte l’avènement de son produit phare Wonderful Hair Grower. Elle joue sur la fibre divine et africaine pour donner une valeur miraculeuse à sa mixture. Elle épouse C.J. Walker et donne le nom de ce dernier à ses produits capillaires, auquel elle ajoute Madam, miroir à l’influence française dans la mode et la cosmétique. Elle a l’idée de mettre son visage sur ses fabrications avec sa longue chevelure, et avec des images avant-après application. Son image devient reconnue par toutes.

Elle utilise le réseau des églises noires pour faire connaître ses produits. Elle sillonne avec son époux et sa fille les États-Unis pour s’imposer, donnant des conseils pour entretenir le cheveu. Madam CJ Walker ouvre des écoles pour former des vendeuses noires performantes.

Afin de répondre à la demande, elle construit une usine de production à Indianapolis. Le succès est retentissant. Elle emploie 3000 Noirs, en écrasante majorité des femmes, qui ont des salaires atteignant 15 dollars par jour, une belle somme pour l’époque. Elle en formera 20 000. Vu le travail énorme abattu pour arriver à ce résultat, elle dira plus tard « Ma vie a démarré, parce que je l’ai faite démarrer  ».

L'usine à Indianapolis
L’usine à Indianapolis

Divorcée de son 3e mari, c’est avec sa fille A’Lelia qu’elle jouit du succès. Madam CJ Walker va alors mettre son expérience et sa fortune au service entier des Noirs.

La femme noire la plus puissante des Etats Unis

« Je ne suis pas seulement satisfaite par le fait de devenir riche, vu que je m’efforce de donner du travail à des centaines de femmes de ma race… Je veux dire à toute femme nègre ici présente : ne vous asseyez pas et attendez que les opportunités viennent à vous. Levez-vous et allez les chercher. »

Madam CJ Walker se fait construire dans un des plus luxueux quartiers de New York un manoir de 250 000 dollars, une somme astronomique pour l’époque. Son palais est l’œuvre de Vertner Tandy, le premier architecte noir de New York. Elle a pour voisin John D Rockefeller. Elle porte les plus beaux habits, possède les plus belles automobiles alors que l’industrie n’en est qu’à ses débuts. Son but est de montrer aux Noirs qu’ils peuvent réaliser leurs rêves.

Des femmes noires rassemblées chez Madam Walker
Le manoir aujourd’hui
L’intérieur du manoir
Au volant d’une de ses voitures
Colorisation de l’image réussie par Slim Baby
Madam Walker et sa fille A’Lelia

Elle devient un membre influent du lobby noir historique NAACP et du lobby noir féminin NACWC. Elle traite d’égal à égal avec le panafricaniste WEB DuBois et l’activiste Booker T Washington. Elle finance l’historique école de sciences et de technologie de Tuskegee, fondée par ce dernier pour les Noirs. Embrassant la vision de Marcus Garvey – le plus grand panafricaniste de l’histoire – elle l’aide à lancer son journal Negro World et finance l’obtention de ses locaux à Harlem. Elle pousse les femmes noires à apprendre à gérer l’argent, à être financièrement indépendantes, et à se lancer dans les affaires.

Elle devient une figure de premier plan de la lutte contre le lynchage des Noirs. Elle donne de sa voix et de son argent pour combattre cette infamie. Elle contribue financièrement le plus pour restaurer la maison de Frederick Douglas, la plus grande figure de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. L’élite noire, y compris les membres du gouvernement fédéral, se bouscule pour la rencontrer dans sa maison ou pour y participer aux réunions politiques qu’elle organise.

En compagnie de Booker T Washington au centre

Madam CJ Walker dit « L’Amérique ne respecte rien d’autre que l’argent. Ce dont notre peuple a besoin, c’est de quelques millionnaires ». Son empire devient international en atteignant les femmes à Cuba ou à la Jamaïque.

La première femme millionnaire par ses propres moyens aux États-Unis s’éteint en 1919 à l’âge de 52 ans, des suites d’hypertension et d’insuffisance rénale. Son projet de centre d’affaire et de divertissement pour Noirs, l’immeuble Madam Walker à Indianapolis, sera achevé par sa fille A’Lelia. Ce bâtiment ainsi que le manoir de New York sont classés au patrimoine historique aux USA. Les descendants de Madam CJ Walker conservent la mémoire de ses hauts faits.

Le théatre Walker à Indianapolis. La construction a été achevée par A’Lelia

Que retenir de Madam C.J. Walker? 

Si on regrette le diktat de la beauté blanche auquel elle s’est en partie soumise, il n’en demeure pas moins que Madam CJ Walker doit devenir un exemple pour les Noirs du monde entier, en particulier pour les femmes noires. Elle est partie de rien pour bâtir un empire et entrer dans l’histoire, en surmontant tous les obstacles et en acquérant sans cesse des connaissances. Ce succès à l’arrache doit inspirer chacun.

Mais le plus remarquable chez elle, est la conscience politique qui l’animait, son engagement total à donner du pouvoir aux Noirs en Amérique et en Afrique, à travers l’économie, l’éducation, la politique, la culture. Elle doit devenir le modèle de l’Africain riche de demain.

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama ©  

Notes :

  • – Les Echos
  • – Time Magazine
  • – Timeline
  • – Black Past
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