Nomzamo Winnie Mandela : la femme, le sacrifice et le combat

« Je voulais qu’il soit su que c’était Winnie Mandela, et non pas « la femme de Mandela » (qui luttait), et que c’était une femme. Et je combattrai l’ennemi autant qu’il m’opprimerait. Je décidai que je les combattrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang et je leur montrerai que les femmes allaient apporter le changement en Afrique du Sud. Et nous l’avons fait ».

« Si c’était à refaire, je le referai ».

En 2018 Winnie Mandela rendait l’âme. « Mama » comme elle était appelée, demeure chérie et considérée comme une héroïne par la jeunesse africaine. Au-delà des images de cette femme avec son poing levé pendant une des plus brutales luttes de décolonisation de l’Afrique, qui a-t-elle été ? Qu’a-t-elle fait ? Quelle place occupe-t-elle dans notre histoire ? C’est ce dont il est question dans cet article.

Une fille de la campagne

Nomzamo Winifred Zanyiwe Madikizela nait en 1936 à Bizana dans la province du Cap-Oriental, de parents enseignants. En partie déçu qu’elle soit née une fille, son père l’éduque comme un garçon et la charge de s’occuper du bétail.

De ces années d’enfance, Winnie forgera une endurance physique qui lui sera très utile par la suite. Elle a 9 ans quand elle est victime du racisme pour la première fois, lorsque pour les célébrations de la fin de la 2e guerre mondiale, elle, ses frères et sœurs et son père sont interdits de se rendre à l’intérieur de la mairie. 3 ans plus tard en 1948, les colons hollandais instituent le système de ségrégation renforcée de l’apartheid.

L’engagement

A 17 ans, Winnie Madikizela se rend à Johannesburg poursuivre ses études en sciences sociales. Elle adhère de plus en plus aux théories de la lutte contre le système raciste et décroche en 1955, avec brio, son diplôme de travailleuse sociale. Déclinant une bourse pour les Etats-Unis, elle est engagée dans un hôpital de Johannesburg.

En 1956 elle rencontre l’avocat et leader anti-apartheid Nelson Mandela, de 16 ans son ainé. Mandela vit alors un mariage difficile avec sa première épouse Evelyn Mase, avec qui il a eu 4 enfants, mais qui ne supporte plus ses absences en raison de ses activités politiques. C’est pourtant cet engagement politique qui va rapprocher Winnie et Mandela. Ils se marient en 1958.

Membre de l’ANC, Winnie participe la même année à une protestation de femmes contre les passeports, ces documents que devaient avoir sur eux tous les Noirs dans leur pays, et qui permettaient de leur interdire l’accès à certaines zones. Enceinte de sa première fille Zenani, elle est arrêtée avec 1000 autres femmes et emprisonnée. Suite à sa libération, elle est mise sous surveillance. En 1960 elle donne naissance à sa deuxième fille, Zindziswa.

En 1961 la police blanche tue 69 Noirs lors du massacre de Sharpeville. L’évènement est un tournant dans l’approche de l’ANC et la vie de Nelson Mandela, qui renonce à la non-violence et co-fonde Umkhonto we Sizwe, la branche armée du parti. Constamment en fuite et masqué, Mandela ne rencontre sa femme que caché. Après ses nombreux actes de sabotage à la bombe contre des infrastructures et l’organisation de campagnes de désobéissance, il est arrêté et condamné à la prison à vie en 1964. Il est désigné comme terroriste par l’Occident.

Le sacrifice

Winnie, jugée dangereuse par le pouvoir raciste, est confinée à Johannesburg, avec interdiction de participer à des réunions. Elle est bannie des médias du pays. Elle doit faire le voyage jusqu’à la prison de Robben Island pour rencontrer Mandela pendant 30 min seulement dans un parloir, avec interdiction de s’exprimer dans leur langue Xhosa.

Winnie en résidence surveillée en 1969
Photo de Peter Magubane

Seule, Winnie est constamment harcelée par la police, qui fait renvoyer ses filles de toutes les écoles où elle les inscrits et saccage sa maison incessamment, jusqu’à la faire bombarder. Ses mouvements sont ensuite confinés à son quartier d’Orlando West à Soweto. Elle perd ainsi son emploi de travailleuse sociale et se voit refusée toute autre occupation, même celui de femme de ménage. Elle finit par envoyer ses enfants au Swaziland et continue ses activités politiques malgré tout, en organisant l’assistance aux prisonniers politiques.

En 1967 elle est condamnée à 1 an de prison pour communication avec une personne aux libertés restreintes. En 1969 elle est arrêtée de nouveau, devant ses filles en vacances chez elle et en pleurs. Elle a juste le temps de prendre son sac préparé pour l’éventualité d’une incarcération et est conduite dans ce qui sera les pires moments de sa vie.

Winnie Mandela va passer près de 17 mois en prison dont 7 en isolement total. Torturée, elle est interrogée pendant 5 jours durant sans sommeil. Elle dort dans une pièce exiguë et reçoit une nourriture pauvre. Malade et en grève de la faim, elle perd beaucoup de poids et décide de se laisser mourir pour alerter l’opinion internationale sur l’apartheid. Pour la briser psychologiquement, la police torture aussi des militants anti-apartheid près d’elle. Les cris lui donnent des envies de mort.

Libérée en 1970, elle est encore condamnée en 1972, puis en 1973. A Soweto, elle participe à la résistance et soutient le soulèvement des élèves en 1976 qui protestent contre l’introduction de l’Afrikaans, la langue des Blancs, comme langue obligatoire à l’école. Ce sont les tristement célèbres émeutes de Soweto. Winnie ramasse les corps d’enfants tués et conforte les parents anéantis. Accusée d’avoir organisé les leaders étudiants dans sa maison avant les émeutes, elle est bannie dans la localité de Brandfort à 400 km de Soweto.

Jusqu’alors, Winnie était plus que tout considérée comme la femme de Nelson Mandela dont elle luttait aussi pour la libération. Brandfort sera le tournant qui la transformera en leader de pleins droits du combat.

Brandfort 

Brandfort
1977

Isolée dans cette petite ville, Winnie reprend ses habits de travailleuse sociale et y fonde la première crèche, un centre médical, une soupe populaire, une association d’assistance aux orphelins et aux anciens délinquants, et un club de couture. Elle devient très aimée des habitants de Brandfort.

Considérée comme la mère de la communauté, elle est appelée par tous « Mama ». Son travail important est connu dans tout le pays et les sondages d’opinions font d’elle la 2e personnalité incarnant la résistance, derrière seulement le leader zulu Buthelezi. La police pour sa part ne manque jamais une occasion de l’intimider.

Winnie aux prises avec les forces de l’apartheid 

En visite à son mari, son centre médical est détruit par le pouvoir. C’est l’évènement de trop, l’offense de trop, la blessure de trop. La rage de Winnie est à son comble et elle rentre à Soweto en 1986 pour devenir cheffe de guerre.

La cheffe de guerre 

« Ensemble, main dans la main, avec nos boîtes d’allumettes et nos necklaces, nous libérerons ce pays ». Cette phrase dite à une assistance enflammée par une Winnie Mandela froide et déterminée, symbolise le tournant guerrier de son combat face à un ennemi diabolique et impitoyable, décidé à exterminer les Noirs. On est dans le dernier tournant de la lutte, le plus violent aussi, où l’ordre donné à la population noire de saboter le pays et le rendre ingouvernable rencontre la terreur des forces racistes. Le pays est à feu. Les émeutes innombrables sont réprimées de la manière la plus sauvage par la police. Soweto renforce son statut de centre de la lutte.

De retour à Soweto en 1986, acclamée par ses partisans

Winnie appelle à tuer l’oppresseur et à tuer les Noirs qui collaborent avec le pouvoir maudit. Le necklace, c’est-à-dire mettre des pneus autour du corps d’un traitre supposé et le bruler sur la route, était le sort réservé aux collaborateurs.

Winnie s’habille en uniformes militaires, multiplie les actions sociales et fonde et dirige le Mandela Football Club, qui se livre à des activités de surveillance et de répressions violentes. Alors que le leadership de l’ANC est en exil ou en prison, elle est sur le terrain, au contact du peuple et affronte avec ses mains le pouvoir blanc, enterre les innombrables martyrs. Elle devient centrale dans le combat et hérite du titre de Mère de la Nation.

Winnie Mandela en tenue militaire, à droite aux côtés de Chris Hani, chef du mouvement armé Umkhonto we Sizwe, assassiné en 1993

Pendant qu’elle se radicalise au milieu du danger, Mandela à l’abri relatif en prison, commence à négocier et à céder sur certains points pour parvenir à la libération. Conscient de pouvoir avec lui préserver ses intérêts, l’Occident, qui le considérait comme un terroriste, commence à lui donner une image d’ange et à l’imposer comme la principale figure de la lutte.  

Sous la pression de la rue sud-africaine, des pays africains vent debout contre l’apartheid et de la mobilisation internationale, Mandela est libéré en 1990 avec Winnie à ses côtés. L’image fera le tour du monde.

Nelson Mandela libéré le 11 Févier 1990

La destruction orchestrée par l’Occident

Le leadership de l’ANC, réfractaire à sa personne et le pouvoir blanc très inquiet de sa figure déterminée, excluent globalement Winnie des négociations pour la fin de l’apartheid. Pour la salir, l’Occident fait la publicité de ses infidélités et des crimes de guerre du Mandela Football Club, notamment de celui de Stompie Seipei, un leader politique anti-apartheid de 15 ans, égorgé par Jerry Richardon dans la maison de Winnie.  

Stompie était soupçonné de collaborer avec la police. Enlevé avec 3 autres personnes par le Mandela Football Club, il est tué par Jerry Richardson en 1989. On apprendra plus tard pendant le procès que c’est en fait Richardson, membre du club, qui collaborait avec la police et qu’il aurait tué Stompie parce que ce dernier l’aurait découvert. Winnie sera déclarée non coupable de meurtre mais accusée de complicité d’enlèvement.  

Le fossé politique entre Winnie la jusqu’au-boutiste et Mandela qui cède pour parvenir à la libération, se creuse de plus en plus. La mauvaise image de Winnie est véhiculée absolument partout. Elle est inlassablement insultée par toute la presse occidentale. Mandela sous pression du pouvoir blanc et du leadership de l’ANC décide de divorcer. Les deux titans, héros et camarades de lutte se séparent. L’accord pour la fin de l’apartheid est conclu avec de lourdes concessions de la part de l’ANC :

  • Non redistribution des terres aux Noirs
  • Non nationalisation des importantes richesses du pays
  • Renoncement par le futur pouvoir noir à la bombe atomique détenu par le pouvoir de l’apartheid

Les Noirs ont donc gagné la liberté physique mais l’économie reste aux mains des Blancs. Winnie est néanmoins nommée Ministre de la culture et des arts par Mandela devenu président. Elle ne mâche pas ses mots, critique les privilèges blancs, l’attitude qu’elle juge trop conciliante de Mandela et la politique timide du gouvernement et de l’ANC envers les Noirs. Mandela la renvoie du gouvernement 11 mois plus tard pour insubordination. 

Les infidélités de Winnie?

La campagne de destruction de l’image de Winnie Mandela a fait beaucoup de publicité à ses relations extraconjugales, accusations qui sont reprises encore aujourd’hui par ceux qui ne l’aiment pas. Et de nous demander ce que de telles histoires viennent faire quand on évalue son action. Mandela lui-même trompait Evelyn Mase, qui s’en émeut ? Si l’infidélité est une mauvaise chose, pourquoi est-ce mauvais seulement si les femmes le font ?

Qui ne peut pas expliquer le fait qu’une jeune femme de 25 ans, dont le mari sera absent pendant 30 années et pour lequel elle se battra toute sa vie pour le faire libérer, ait besoin de compagnie ? Ou alors va-t-on prétendre que les femmes n’ont pas de sexualité et sont sommées de rester chastes en toutes circonstances ? S’il fallait appliquer les mêmes critères sur la fidélité à nos grands hommes, il faudrait chasser Steve Biko et surtout Martin Luther King du panthéon de nos héros. Ce qui est impensable.

Que ce soit clairement dit, les affaires privées de Winnie Mandela n’ont rien à faire dans l’évaluation de son action et de sa place dans notre histoire. La presse occidentale et les sympathisants de l’apartheid se seront livrés aux attaques les plus sexistes pour s’assurer que la voix de justice entière de Winnie soit éteinte.  

Les dernières années

Après son départ du gouvernement en 1995, Winnie Mandela se rend au Zimbabwe pour soutenir la réforme agraire et la redistribution des terres aux Noirs. Elle fait campagne aussi notamment pour un traitement pour tous les malades du SIDA, sur lequel des témoignages de plus en sérieux laissent penser aujourd’hui, qu’il a été introduit en Afrique par le pouvoir de l’apartheid pour exterminer les Noirs.

Jouissant d’une popularité immense auprès du peuple et des militants de l’ANC, « la Mère de la Nation » est acclamée partout, célébrée. Son histoire est racontée dans des films et des pièces de théâtre. Malgré cela l’ANC continue à la minimiser. Son héritage politique de réelle justice économique pour les Noirs est repris par le parti EFF de Julius Malema, parti qu’elle embrassera et qui fera d’elle sa marraine et figure tutélaire lors de ses dernières années.

Lors de la célébration de son 80e anniversaire

Winnie Madikizela-Mandela rejoint ses ancêtres le 2 Avril 2018 à 81 ans.

Que retenir?

Certains points doivent être mis en avant :

  • Winnie Madikizela-Mandela est une héroïne de plein droit de la lutte contre l’apartheid, et non pas « la femme de Nelson Mandela », attribut qui fut secondaire dans sa vie publique.
  • Son sacrifice absolument immense pour la cause doit être toujours salué.
  • Par son combat sur le terrain et son rôle de cheffe de guerre, elle a mené les dernières années de la lutte contre l’apartheid.

En somme, Winnie était la mère nourricière, la justice et la force.

Quelle place dans l’histoire africaine ?

1. Winnie Madizikela-Mandela est une des plus grandes figures de la lutte contre l’apartheid et donc de la décolonisation de l’Afrique.

2. Winnie Madizikela-Mandela est la plus illustre figure féminine de la lutte de décolonisation de l’Afrique.

3. Winnie Madizikela-Mandela est la dernière héroïne en date de notre histoire, dans la suite de toutes ces Africaines qui ont lutté contre l’oppresseur telles la mère royale Akhotpou en Egypte, l’impératrice Amanirenas au Soudan, la reine Nzinga en Angola, la reine ashanti Nanny à la Jamaïque, Harriett Tubman aux Etats-Unis, la reine Ndate Yalla Mbodj au Sénégal, la reine Ranavalona 1ère à Madagascar, l’impératrice Taytu Betul en Ethiopie ou encore la mère royale Yah Asantewaa au Ghana.

Puisse ton Ka (énergie) vivre éternellement Mama. Merci!

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

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