Les civilisations Sao et Kotoko

Il y a 2600 ans, naissait la culture Sao, première culture élaborée de l’Afrique centrale. À elle, allait succéder sur le même territoire au sud du Lac Tchad, la civilisation Kotoko.  

Goulfey, pays Kotoko
Epoque coloniale française

Les Sao sont les premiers humains de grande taille à avoir peuplé le bassin du Lac Tchad. Ont-ils été précédés dans la région par les Pygmées ? Ce n’est pas clair. Les récits leur donnent souvent une origine égyptienne. On y a même vu le peuple Tehenou mentionné dans les textes pharaoniques.  

Les Sao n’étaient pas un peuple unique en tant que tel, mais des groupes de populations vivant au sud du Lac Tchad, et distinguables par leur très grande taille et leurs cultures similaires. 

Agriculteurs, chasseurs et pêcheurs, les Sao ont fondé au nord du Cameroun, au sud-ouest du Tchad et au nord-est du Nigeria leur culture. Leur civilisation démolie au 16e siècle, ils sont peu à peu devenus un peuple mythologique et légendaire, avant que l’archéologie à partir du 19e siècle, ne les restitue réellement à l’histoire.  

Statuette sao

La culture Sao a fleuri en raison de l’abondance des ressources naturelles de la région. Bénis par le Lac Tchad et les fleuves Logone et Chari, ces premiers sédentaires ont pu s’élever vers des réalisations artistiques.  

Les Sao ont commencé à travailler le fer il y a près de 2600 ans, soit au même moment que la belle civilisation Nok au centre du Nigeria actuel. Ils ont érigé des villes de huttes entourées de larges murailles en terre. 

Il y a 1200 ans, la phase dite classique ou d’apogée de cette culture commence. Les cités sont grandes, longues de centaines de mètres en longueur et en largeur d’après les fouilles. Les Sao vont raffiner leur travail de l’argile pour la production de céramique. De très nombreux tessons de céramique ont été ainsi découverts sur les sites. Ce travail prolifique a fait que la culture Sao est souvent surnommée la civilisation de l’argile. 

Scupture sao

Les Sao vont construire des nécropoles et vont se différencier par leurs méthodes d’inhumation uniques. Ils mettaient le corps du défunt en position fœtale, replié sur lui-même et placé verticalement, dans de grandes jarres en céramique. Ils ont abondamment travaillé le bronze également et laissé en des matériaux divers, des sculptures humaines et animales, dont on devine les fonctions religieuses.

Bronze Sao
Christas
Jarres funéraires sao
Source: Qui sont les Sao ?, Manga Makrada Maïna, page 19

Les Etats-Cités sao vont prendre en importance, au point de devenir un ensemble rival du très puissant empire du Kanem-Bornou. La fonction du roi était divine et des meurtres rituels sont rapportés. C’était probablement des sacrifices humains et les mises à mort des rois comme un peu partout en Afrique ancienne. Après 8 à 10 années de règne, l’énergie du roi était considérée comme affaiblie et il était mis à mort réellement ou symboliquement.  

Au 16e siècle, l’empire du Kanem Bornou, sous le Maï (Roi) Idriss Alooma lance l’offensive décisive contre les Etats-Cités sao. D’autres sources mentionnent aussi des attaques par les Arabes du Yémen, après le refus des Sao de se convertir à l’islam. Les villes Sao sont anéanties et les survivants des guerres fuient dans toutes les directions. La civilisation Sao s’éteint ainsi.

Les peuples Buduma, Bilala, Mousgoum, Sara et surtout Kotoko, sont souvent vus aujourd’hui comme les descendants des Sao. Au point qu’on parle de peuple Sao-Kotoko, ou même de civilisation Sao-Kotoko. 

La civilisation Kotoko 

Les Kotoko sont un peuple du sud du Lac Tchad, qui vit sur les mêmes territoires que les Sao au Cameroun, au Tchad et au Nigeria. Leur civilisation apparue au 16e siècle a succédé celle de l’argile. Ses larges cités, son agriculture et son travail raffiné du bronze vont faire de la civilisation Kotoko une force majeure dans la région du Lac Tchad. 

Les Kotoko n’étaient pas rassemblés sous l’autorité d’un seul pouvoir. Bien que conscients de leur unicité, ils vivaient dans des Etats-Cités indépendants. Les villes de Kousséri, Mara, Makari, Goulfey et surtout Logone Birni ont été leurs principaux lieux. 

Logone Birni. On voit le long mur d’enceinte qui entoure la ville et ses bâtisses
Dessin de Denham lors de son voyage en 1824

En 1824, le voyageur britannique Dixon Denham arrive à Logone Birni. Il relate sa visite par ces mots « J’ai descendu le fleuve, qui coule ici avec beaucoup de beauté et de majesté devant les hauts murs de cette capitale Logone. Le fleuve vient directement du sud-ouest, avec un courant rapide. Nous sommes entrés dans la ville par la porte ouest, qui mène à la rue principale : elle est aussi large que Pall Mall et comporte de grandes maisons de chaque côté, construites avec une grande uniformité, chacune ayant une cour devant, entourée d’un mur, et une belle entrée avec une forte porte en fer. 

Un certain nombre d’habitants étaient assis à leurs portes pour nous voir entrer, avec leurs esclaves rangés derrière eux » [1]. 

De sa rencontre avec le Me (le roi), Denham ajoute : 

Le lendemain matin, on me demanda de paraître devant le sultan: dix immenses nègres, issus de la noblesse, la plupart à la barbe grise, la tête nue et portant de grandes massues, me précédèrent dans les rues, et je fus reçu avec un cérémonial considérable. Après avoir traversé plusieurs salles obscures, on me conduisit dans une grande cour carrée, où étaient rassemblées quelques centaines de personnes, toutes assises à même le sol : au milieu se trouvait un espace libre, vers lequel on me conduisit et on me demanda de m’asseoir.  

Deux esclaves portant des robes de coton rayés, qui éventaient l’air à travers un treillis de cannes, indiquaient le dévoilement du sultan. A un signal, on enleva cette ombre, et l’on découvrit sur un tapis une chose vivante, enveloppée dans des robes de soie, la tête enveloppée dans des châles, et dont on ne voyait que les yeux : toute la cour se prosterna, et se versa du sable sur la tête, tandis que huit frumfrums et autant de cors soufflaient un salut bruyant et très rude” [1]. 

Denham nous donne ainsi cette description précieuse de Logone Birni et ajoute qu’il lui fut proposé d’acheter des êtres humains. 

Cette pratique de cacher le roi est fondé sur le rôle ontologique du souverain en Afrique, qui est le représentant d’Imana (Dieu) sur Terre. Comme Imana donc, le Me est caché. La ville de Goulfey avait quant à elle le varan comme animal totémique. Un édifice en terre haut de 12 mètres abritait son culte. Comme partout en Afrique les Kotoko adoraient le Créateur unique et ses formes, dites localement Gbwei Gbwei. Par ailleurs le fait de se mettre de la poussière sur la tête en présence du roi se retrouvait au Mandeng (l’empire du Mali). 

Palais du Me de Logone Birni
L’intérieur du palais de Logone Birni
Epoque coloniale

On voit qui plus est ici une Afrique, qui, après les résistances acharnées contre les esclavagistes et très violemment vaincues aux 16e et 17e siècles, était pour une bonne partie, entrée finalement dans le trafic d’êtres humains aux 18e et 19e siècles.  

Les Kotoko étaient d’habiles agriculteurs, notamment en ce qui concerne la production du Sorgho. Ils avaient de grandes villes fortifiées et les habitations étaient reproduites selon le schéma mathématique des fractales.

Plan de la ville de Logone Birni, réelle à gauche, informatisé à droite
Source : Emergence in Urban Environments: Agent-based Simulation of Environment Reconfiguration, Peter Bus

Les Kotoko ont surtout produit un travail du bronze remarquable et dont les pièces – figurant surtout la cavalerie – se trouvent, nombreuses, dans les musées en Occident.  

Chameliers kotoko

Goulfey essuiera de nombreuses attaques des Arabes qui y ont mené des razzias pour prendre ses habitants et les déporter pour l’esclavage. Au 19e siècle, les royaumes Kotoko sont absorbés par l’empire du Kanem Bornou mais maintiennent une forte autonomie. A la fin du 19e siècle, ils seront occupés par la colonisation allemande du grand Kamerun, avant d’être sous tutelle française au Tchad et au Cameroun, et sous tutelle anglaise au Nigéria.

La ville de Kousséri sous colonisation allemande en 1910. On voit la cavalerie kotoko, les musiciens et probablement la noblesse en beaux habits.
Les murs d’enceinte et la porte fortifiée ont été construits par les Kotoko avec des techniques locales, même si on ne sait pas si les plans du fort – on rappelle que le concept de fort ou château-fort est d’origine africaine – sont ici d’inspiration locale ou due à l’influence arabe ou européenne.

Les royautés kotoko existent toujours, tant bien que mal, essentiellement au Cameroun actuel.

Hotep! 

Par: Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama) 

Notes :

  • Qui sont les Sao, Manga Makrada Maïna
  • Unesco
  • Encyclopedia Britannica
  • [1] Dixon Denham, Hugh Clapperton, Walter Oudney (1826). Narrative of travels and discoveries in Northern and Central Africa: in the years 1822, 1823, and 1824, pages 14 à 16
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