La Justice Africaine : fondements et orientations pour le futur

De grosses perruques blanches et des robes noires et rouges. Les déguisements coloniaux avec lesquels les juges, procureurs, avocats etc… se montrent en Afrique, choquent les Africains, tant ils paraissent anormaux, venus d’une autre galaxie. Même les Africains qui ne sont pas initiés aux idées afrocentriques comprennent qu’il y a un problème. Le système judiciaire est le corps qui exhibe le plus son aliénation en Afrique et son incompatibilité avec l’identité africaine.

Au-delà de l’accoutrement que tout le monde veut voir disparaitre, la pensée et le fonctionnement du système en lui-même, demeurent ceux de la colonisation, et doivent aussi s’en aller. Le système judiciaire colonial doit être remplacé  par le système africain.

Comment fonctionnait la justice en Afrique authentique? Comment reconstruire finalement un système judiciaire compatible avec qui nous sommes? C’est ce à quoi nous allons essayer de répondre dans cet article.

Maât: la Loi

La pensée africaine stipule que l’univers entier fonctionne grâce à une harmonie et un équilibre crées par Dieu au commencement. Les lois du fonctionnement de l’univers, et donc la loi divine, sont appelées Maât. Imana (Dieu) maintient Maât dans tout l’univers. Les Humains maintiennent Maât sur la Terre.

Commettre un crime revient à briser l’harmonie et l’équilibre divins. Le rôle de la justice en Afrique est donc de remettre cet équilibre, de réparer, restaurer Maât. Le système judiciaire en Afrique a donc un but principal : restaurer Maât. Les juges en Afrique sont des restauratrices et des restaurateurs de Maât.

Maât, la loi de l’univers, est représentée par une femme avec les bras en équilibre et la plume sur la tête (Egypte ancienne).  

Restaurer l’harmonie passait en Afrique ancienne, par la restauration de la paix dans les cœurs. Voilà pourquoi Mbog Bassong dit « L’esprit du droit africain (…) vise la conciliation et non la sanction, l’équilibre social, l’équité, la réinsertion des coupables dans la société » [1].

Dans son étude de la justice africaine, le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU dit exactement la même chose « La nature conciliatoire des systèmes judiciaires traditionnels en Afrique et le type de jugements prononcés sont pour beaucoup, un reflet du but qui est de restaurer l’équilibre et l’harmonie dans la communauté » [2].

Adeyemi J Ademowo et Adedapo Adekunle disent à propos de la justice chez les Yorubas du Nigeria-Benin « Le but de la loi dépasse la simple résolution des conflits, et vise (en réalité) le maintien de l’équilibre dans la société » [3].

Cette nature pacifiste du droit africain contraste avec celui du droit occidental, qui est essentiellement punitif, répressif. L’Occident a une tradition originellement violente. Le système judiciaire a donc été créé pour contrôler cette violence, en utilisant amplement la punition.

Si la justice africaine est pacifiste, c’est parce que la tradition et donc les Africains mêmes étaient pacifistes, et que peu de crimes graves étaient commis. Des mesures étaient ainsi prises en Afrique pour prévenir les crimes.

La prévention des crimes

L’initiation

Au cours de l’initiation pendant l’enfance ou l’adolescence, chaque Africain se voyait inculquer son but : le respect et l’application sur Terre de la loi de l’Univers (Maât), tel qu’Imana l’avait ordonné en créant le monde.

Les principes de Maât étaient rappelés tout au cours de la vie par des proverbes qui étaient répétés en toute circonstance. C’est ça l’essence des fameux proverbes africains.

La promesse de devenir ancêtre divin

Celle ou celui qui consacrait sa vie à appliquer Maât, rejoignait les ancêtres divins à sa mort, et était vénéré par les vivants au cours des générations. Et pour accéder au monde des ancêtres divins, il fallait passer avec succès l’étape du jugement dernier pour prouver qu’on avait servi Maât.

A gauche la salle du jugement dernier des anciens Egyptiens, afin de déterminer si le mort avait obéit à Maât et pouvait devenir ancêtre divin. Le cœur du défunt, comptable de ses actes, était mis sur un coté de la balance et la plume de Maât qui signifiait l’équilibre, sur l’autre. A droite Themis, déesse grecque de la justice et copie de la déesse africaine Maât. Themis est devenue Justitia à Rome. C’est Justitia qui a donné le mot Justice. La balance de l’équilibre, originaire de la salle du jugement dernier de Maât, représente jusqu’à nos jours la justice dans tout l’Occident.

Pour illustrer l’importance de devenir ancêtre divin, les Yorubas avaient ce chant qui disait :

Ema s’ika l’aye Évitons de faire le mal sur Terre
Nitori a ti r’orun Car nous voyagerons vers le ciel
Ema s’ika l’aye Évitons de faire le mal sur Terre
Nitori a ti r’orun Car nous voyagerons vers le ciel
Bi a ba de bode Quand nous arriverons à la porte du ciel
A o ro’jo Nous aurons à rendre des comptes pour nos faits

Les statues

Comme nous l’avons expliqué dans notre article consacré aux masques et statues en Afrique, ces objets ne sont pas des objets d’arts, mais des supports physiques de Dieu, des divinités et des ancêtres divins. Les statues étaient positionnées partout dans l’Afrique ancienne. Il s’agissait de peupler l’espace terrestre par les dieux. Les Africains étaient donc entourés des dieux qui les surveillaient. On s’abstenait ainsi, en présence des esprits qui étaient partout, de faire le mal.  

Mbog Bassong dit encore « toute la puissance de nos empires et royaumes ancestraux venaient de la position spatiale de ces objets, à l’entrée des temples ou des royautés, aux lieux névralgiques, telluriques ou énergétiques permettant de quadriller l’espace social. Aussi tous les esprits malfaisants perdaient-ils leurs moyens psychiques. (…) pas de police, pas de vol, pas de méfaits sauf pour des déviants bien connus. »

Ces trois mesures (initiation à  Maât, volonté de devenir ancêtre divin, présence des esprits à travers les statues), s’associaient au bien-être économique des Africains avant l’apocalypse des razzias négrières européennes. Tout cela a fait du continent noir un espace où régnaient sécurité et civisme. Le voyageur arabe Ibn Battouta, après avoir visité l’Asie, l’Afrique et l’Europe, disait ainsi au 14e siècle « Parmi les belles qualités de cette population (les Africains), nous citerons les suivantes : le tout petit nombre d’actes d’injustice que l’on y observe ; car les Noirs sont de tous les peuples celui qui l’abhorre (le rejette) le plus[4].

Malgré ces précautions, des délits et crimes bien entendu étaient commis. Comment gérait-t-on cela dans ce cas ?

Le système judiciaire

L’organisation

On peut distinguer 3 niveaux d’organisation du système judiciaire en Afrique ancienne :

  • La communauté : il s’agissait de la famille étendue vivant dans un village ou dans un quartier d’une ville.
  • Le clan ou nation ethnique : Il s’agissait d’un niveau intermédiaire, souvent autonome, quelque fois sous la direction du pouvoir royal. Il regroupait des villages ou était une ville.
  • Le roi

En ce qui concerne la communauté, le « procès » se déroulait sous l’arbre à palabre. Le plaignant et l’accusé se défendaient seuls, sans avocats. Les vieux, en tant qu’inities supérieurs et personnes les plus proches des ancêtres, modéraient le procès et rendaient le jugement.

Le Kgotla aujourd’hui encore au Botswana, dit arbre à palabre en français. Cette institution judiciaire et de démocratie participative fut présente dans toute l’Afrique.

Pierre Chevalier, à propos de la justice coutumière à Madagascar, disait ainsi, pour ressortir l’importance donnée aux vieux « L‘autorité premiere est reconnue aux défunts, aux ancêtres morts, dans le monde des vivants elle l’est au plus âgé, à celui qui se rapproche le plus de ceux qui, dans le tombeau familial, assurent toujours la continuité de la tradition » [5].

L’empereur ou le roi quant à lui, était chargé de faire régner Maât sur tout le territoire. Le Pharaon désignait ainsi des juges pour servir la justice en son nom au sein des clans. On avait ainsi en Égypte les Kenbè, c’est-à-dire les tribunaux, au niveau du clan. Les procès et jugements se tenaient à la porte du temple de Maât.  

Vestiges du temple ou plus précisément palais de Maât, Karnak
Wikimapia

Lorsque les trois niveaux étaient présents sur le même territoire, c’est souvent la gravité du crime qui définissait à quel niveau on était jugé. Les litiges, délits et crimes mineurs se réglaient en communauté. Une gravité estimée moyenne pouvait envoyer vers le tribunal du clan. Un crime très grave était jugé directement par le roi.

La sanction

Les vieux dans la communauté rendaient le jugement en privilégiant la réparation du tort et la réconciliation. Amadou Sangara, à propos des célèbres Dogons du Mali, dit ainsi « Dans la société dogon, on donne beaucoup de place au pardon » [6]. Le fautif et sa proche famille s’excusent, s’engagent à payer pour la faute, en bétail ou autre produit. La réparation doit satisfaire la victime. Des rituels de purification sont faits et la réconciliation est scellée.

Au niveau du clan, la sanction pouvait aller jusqu’à des coups de bâtons ou le bannissement. Le roi pouvait, dans les cas les plus exceptionnels, prononcer la peine de mort.

Il n’y avait pas de code pénal strict, c’est-à-dire pour tel crime, telle punition était prévue. Le fautif était sanctionné par rapport à ses moyens. L’objectif n’étant pas de le détruire.

Qui plus est, la détention ou la prison, et ceci dans toute notre histoire, étaient évitées le plus possible. L’ONU ajoute « Historiquement, la prison n’a pas été utilisée dans les systèmes de justice traditionnels (africains), reflétant le but premier qui est la réconciliation, ainsi que d’autres réalités pratiques telles que la nécessité pour les individus de soutenir leurs familles » [7].  

En résumé, nous pouvons ressortir les points suivants sur la justice en Afrique

  • La loi est la loi divine (Maât)
  • Le système judiciaire a pour but de restaurer Maât
  • L’attitude est celle de la réconciliation
  • L’initiation à Maât assure une faible criminalité
  • Les vieux rendent justice au niveau communautaire
  • Le roi et ses représentants rendent justice au niveau suprême et clanique
  • Les sanctions pour la même faute sont flexibles

Quel système judiciaire pour l’Afrique ?  

Ce qui précède nous permet d’imaginer un système pour le futur :

Fondement : l’objectif sera la restauration de Maât. On ne devra donc pas parler de « justice » mais de restauration de Maât. Les juges seront des restauratrices et restaurateurs de Maât. Ils sortiront des écoles spéciales de Maât. Les Kenbè (tribunaux) seront dans l’enceinte des temples de Maât.  

Prévention des crimes :

  • Initiation à Maât et éducation axée autour de Maât
  • Retour des esprits (masques et statues) dans l’espace public

Principes :

  • Privilégier la réconciliation et la pacification
  • Maintenir la flexibilité des sanctions

Organisation

Comme nous l’avons déjà dit, il faudra réorganiser l’Afrique en général sur trois niveaux :

  • La nation ethnique : Chaque nation (tribu) conservera le pouvoir sur son territoire, y fera régner sa langue et sa culture, y installera ses institutions.
  • L’État fédéré : il s’agira de nos pays d’aujourd’hui, qui seront eux-mêmes des fédérations de nations ethniques.
  • L’État fédéral africain : le Grand État africain sera la fédération de nos pays d’aujourd’hui.

L’organisation du système de restauration de Maât suivra cette architecture :

  1. Dans les villages, les restaurateurs de Maât seront les vieux initiés de la communauté. Ils seront assistés d’initiés plus jeunes sous l’arbre à palabre.
  2. La cour de restauration de Maât de la nation : les juges seront nommés par le dirigeant de la nation.
  3. La cour de restauration de Maât de l’État fédéré : les juges seront nommés par le dirigeant de l’État fédéré.
  4. La cour de restauration de Maât de l’État fédéral : les juges seront nommés par le dirigeant de l’État fédéral.

Il faudra classer les accusations par degrés de gravite et définir, pour chaque accusation, à quel niveau elle devra être jugée. Enfin le dirigeant, lui-même initié supérieur, aura, dans des circonstances bien définies, un droit de révision du jugement et un droit de grâce.  

C’est ainsi que les restauratrices et restaurateurs de Maât devront se presenter, non pas avec les accoutrements coloniaux, mais avec la plume de Maât à la tête.
Image : hommes Maasai Samburu du Kenya, portant la plume de Maât
Photo de Jimmy Nelson

Pour en savoir plus sur Maât, cliquer ici

Hotep!

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

  • [1] La pensée africaine, Mbog Bassong, page 329.
  • [2] Human rights and traditional justice system in Africa, United Nations human rights, office of the high commissioner, page 29.
  • [3] Law in traditional Yoruba philosophy : a critical appraisal, Adeyemi J Ademowo et Adedapo Adekunle
  • [4] Afrique noire, sol, démographie et histoire, Louise Marie Diop-Maes, page 196.
  • [5] Introduction à l’étude du droit coutumier malgache, Pierre Chevalier.
  • [6] Le pouvoir décisionnel des chefs religieux traditionnels Dogon aux dépens des lois et règlements en vigueur, thèse d’Amadou Sangara.
  • [7] Human rights and traditional justice system in Africa, United Nations human rights, office of the high commissioner, page 29.
  • Egypt’s pharaohs delivered divine justice from beyond the grave, National Geographic
Partager
Twitter
Partager
Partager
error: Content is protected !!
Retour en haut