Pount (les grands Lacs Africains), la Terre Sainte des Egyptiens anciens

« Les montagnes de Pount le révèlent Lui (Dieu) qui est caché » [1].  

Il y a 3500 ans, Hatchepsout, la plus grande femme pharaon d’Egypte, lança une expedition retentissante vers le pays de Pount, pays considéré comme le plus sacré par les Egyptiens. 

Des hommes de Pount au milieu d’arbres à encens

Le pays de Pount était pour les Égyptiens anciens, leur origine primordiale et celle de leurs connaissances. Ce pays était vu comme le pays saint par excellence, le pays d’Imana (Dieu). Au regard de l’importance majeure de ce territoire pour l’Égypte et vu la place centrale que prend la civilisation égyptienne dans le paradigme des Africains, il est capital de connaitre le lieu mythologique de la naissance de la civilisation africaine.

C’est en raison de la valeur historique de cette contrée que depuis 150 ans, il y a un débat vif sur sa localisation. La version la plus répandue situe Pount dans la corne de l’Afrique, c’est-à-dire l’Érythrée, l’Éthiopie actuelle et la Somalie. D’autres voix savantes au contraire, situent Pount dans la région des grands Lacs africains, région traversée par l’équateur, et à la croisée de l’Afrique centrale, l’Afrique de l’est et l’Afrique australe. 

L’origine des thèses en présence 

D’où vient l’idée selon laquelle Pount se situerait dans la corne de l’Afrique ? Elle vient du fait que Pount était décrit comme le pays d’où vient l’encens. Cela a donc fait penser au pourtour de la Mer Rouge, avec ses pays riches en aromates.

Pour ce qui est de la thèse des grands Lacs, cela a instinctivement été supposé, du fait qu’on sait que les fondements de la civilisation sont partis de l’Afrique australe et des grands Lacs, pour arriver en Égypte. Qui plus est, la population qui a peuplé le Soudan puis l’Égypte, était originaire des sources du Nil donc des grands Lacs.

Les études génétiques sur Imanahotep Hekaouset (Amenhotep III), Akhenaton, Tuanga Imana (Toutankhamon) et Ramessou Hekayounou (Ramsès III), ont démontré une affinité maximale avec les peuples des grands Lacs et de l’Afrique australe, bien supérieure à celle d’avec les peuples de la Corne de l’Afrique. Cela a renforcé l’idée selon laquelle Pount se situait dans les grands Lacs.

Enfin le nom de Dieu en Égypte était écrit Imn quand on lit les Medou Ntjer (hiéroglyphes). Les Égyptiens n’écrivaient pas toutes les voyelles. C’est en comparant avec le Rwanda et le Burundi, qu’on est arrivé à la vocalisation Imana, qui est le nom de Dieu dans ces pays. Ce qui laisse encore penser que le Pays de Dieu se situait dans les grands Lacs.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les contacts entre Pount et l’Égypte ont été nombreux et remontent probablement au début de la civilisation pharaonique. Il semble donc y avoir assez de données pour essayer de trouver le Pays Divin. 

Les bateaux égyptiens en route vers Pount

Les éléments scientifiques

Le peuple de Pount

D’après les représentations du temple d’Hatchepsout vieux de 3500 ans, les habitants de Pount sont des Noirs typiques. Ce sont des populations égyptianisées et donc au contact des Égyptiens depuis très longtemps. Les hommes portent ainsi le pagne blanc et la fausse barbe tressée des Égyptiens.

Ces Noirs typiques peuvent bien avoir été ceux de la corne comme ceux des grands Lacs. Pourtant les Noirs actuels de la corne de l’Afrique ont une apparence métissée, surtout les Tigréens et Amharas d’Éthiopie-Érythrée. Ceci est probablement dû à un mélange avec des Sabéens métissés, que la génétique date vieux de 3000 ans environ, donc après l’expédition d’Hatchepsout.

Babacar Sall ajoute une information qui fait la différence quand il dit « la biographie de Herkouf (administrateur égyptien), nous apprend que sous Isesi (5e dynastie), le trésorier Bouarded avait ramené un Pygmée de Pount » [2]. Pount était donc un pays où il y avait aussi des Pygmées, ce qui plaide très fortement en faveur des grands Lacs et exclut pratiquement le pourtour de la Mer Rouge. Les Égyptiens savaient bien distinguer Nemou (le nain) de Deneg (le Pygmée). Les écrits affirment bien qu’un Pygmée est venu de Pount.

Bès, dieu pygmée en Égypte, hautement vénéré et représentant l’initiation, était aussi appelé le dieu de Pount ou le Seigneur de Pount comme le précise Zahi Hawass. L’égyptologue ajoute « les Égyptiens étaient ainsi donc familiers, depuis au moins 2200 av JC environ, des Pygmées d’Afrique centrale » [3]. Cela confirme encore une population pygmée dans cette contrée.

Bès

Le géographie et l’habitat de Pount

« C’est un pays où on trouve des forets, des lacs à profusion dont un des lacs s’appelle Tanganyika » [4]. Ces écrits des bas-reliefs du temple d’Hatchepsout, et retranscrits par l’égyptologue Coovi Rekhmiré, désignent évidemment la région des grands Lacs. Le mot Tanganyika qui nomme un lac entre le Congo et la Tanzanie, existe depuis très longtemps et peut très bien avoir été connu des Égyptiens.

Les Fidjiens, sortis pourtant d’Afrique il y a des milliers d’années pour aller en Océanie, disent ainsi, encore aujourd’hui à travers leur tradition orale, être originaires de Tanganyika.

Par ailleurs la densité de la végétation telle que reproduite sur les fresques égyptiennes, a amené Cheikh Anta Diop à dire « les arbres en question (de Pount), par leur taille et leur luxuriance, rappellent beaucoup plus la puissante nature végétale de l’Afrique équatoriale même » [5].          

Les huttes sur pilotis de Pount quant à elles, font encore penser à un endroit où il pleut beaucoup, ce qui est en faveur plutôt de l’Afrique équatoriale. Les huttes en dôme sur pilotis, comme celles de Pount, étaient encore retrouvées au début de l’époque coloniale, dans la région des grands Lacs [6].

Les huttes sur pilotis du pays divin de Pount

Les conditions du voyage       

En 1998, F.D.P. Wicker publie dans la revue britannique The Geographical Journal, The Road to Punt (la route vers Pount). Il commence par une longue analyse des navires utilisés pour l’expédition du temps d’Hatchepsout, et étudie la faisabilité d’un voyage par la Mer Rouge ou sur le Nil.

Il étudie aussi les détails de l’accostage à Pount et dispute la notion selon laquelle Ouadj Our (Grand Vert), sur lequel les Egyptiens ont navigué pour aller à Pount, désigne uniquement la Méditerranée. Le Nil à Ouaset (Thèbes) est vert également. 

Il avance ainsi que les bateaux ont navigué uniquement sur le Nil à l’intérieur de l’Afrique et sont arrivés sur les berges d’un lac. Les écrits pharaoniques relatent que l’équipage, partant de l’Égypte, a voyagé à contre-courant sur le Grand Vert. Le voyage à contre-courant correspondrait à la remontée du Nil vers sa source.

La végétation de Pount

Pour ce qui est de la végétation, Wicker dit « La végétation de l’Ouganda et du Zaïre oriental (actuel est de la RD Congo) a été intensivement étudiée par les botanistes britanniques et belges (par exemple Eggeling et Dale, 1951 ; Robins, 1948) (…) Toutes (les plantes) connues importées de Pount se trouvent à l’est et au sud du lac Albert. Très peu pourraient être originaires de la Somalie ou d’une quelconque côte de la Mer Rouge » [7].

Le pourtour du lac Mwitanzige (lac Albert), c’est l’Ouganda et la RD Congo. L’auteur identifie en particulier le fameux arbre à encens de Pount représenté sur les fresques égyptiennes. Il s’agirait d’un dessin stylisé de Canarium schweinfurthii, un arbre à encens retrouvé chez les Bunyoro d’Ouganda.   

Les animaux de Pount

Parmi les nombreux animaux de Pount présents en Égypte, trois attirent l’attention. Il s’agit du cobe de buffon, du bœuf sanga et du babouin hamadryas. Le cobe de buffon est une antilope présente en Afrique équatoriale et en Afrique de l’ouest, absente dans la corne de l’Afrique. Son autre nom est le cobe ougandais car il est très associé à la région des grands Lacs. Il est carrément sur le sceau de la nation ougandaise aujourd’hui. Sa représentation est retrouvée dans la tombe de Khnoumhotep II qui visita Pount.

Le cobe ougandais en haut à gauche dans la tombe de Khnoumhotep II il y a 4000 ans
Le sceau de l’Ouganda avec le cobe à gauche

Les deux autres animaux datent du temps d’Hatchepsout et ses successeurs. Le bœuf sanga se rencontre principalement en Afrique australe et dans les grands Lacs. On situe son origine précisément en Ouganda, près du lac Nyanza (lac Victoria) où il est appelé Ankole. On sait qu’il était dans le passé dans le Sahara, les gravures de Tassili N’Ajjer en Algérie le prouvent. On ne le retrouve pas dans la corne de l’Afrique.

Le babouin hamadryas pour sa part, est présent dans la corne de l’Afrique. Des études ont été menées sur des babouins hamadryas d’Égypte, datant probablement du temps de Menkheperrè Djehouty-Messou et son fils Imanahotep Hekayounou.

Dominy et al. ont comparé les teneurs en oxygène de deux babouins momifiés trouvés en Égypte, à celles de singes vivants aujourd’hui [8]. Celles-ci correspondent à l’Éthiopie-Érythrée où ces babouins seraient donc nés. Le babouin hamadryas est un des animaux totémiques du dieu Djehouty et était vénéré par les Égyptiens.  

Témoignage de l’époque coloniale

On retrouve des éléments de la civilisation égyptienne partout en Afrique. Ainsi le pectoral multicolore des rois et reines d’Égypte était porté par les Somali. Mais la description extraordinaire faite d’un peuple en Ouganda, aux environs du lac Mwitanzige, est particulièrement conséquente.

Le voyageur anglais Baker dit ainsi en 1864, à propos de ce qui est aujourd’hui l’Ouganda « La foule entière est accoutrée de manière grotesque, habillée soit d’une peau de léopard, soit d’une peau de singe blanc, avec des queues de vache fixées aux derrières (…) leurs mentons sont ornés de fausses barbes, faites des extrémités touffues de queues de vaches attachées (tressées) ensemble » [6].

La queue de vache (ou taureau) à la taille et la fausse barbe tressée sont égyptiennes et étaient portées dès la première dynastie par les pharaons. Cette barbe tressée était déjà portée par les habitants à l’époque de Pount.

Par ailleurs, le témoignage de Baker nous parle d’une peau de singe blanc portée par une partie de la foule. Il peut difficilement s’agir d’un singe albinos vu sa rareté et le grand nombre de personnes ici qui porte sa peau. C’est plutôt indicatif du babouin hamadryas qui est gris et blanc.

On doit donc se demander si le babouin hamadryas vivait aussi dans les grands Lacs et y est aujourd’hui disparu. Par ailleurs on ne peut pas être certain que les babouins analysés venaient de Pount. Ils viennent probablement de la corne mais il est possible que d’autres routes à la recherche du singe sacré aient été exploitées.

Dernières considérations

Cheikh Anta Diop rapportait qu’un cartouche portant le nom de Menkheperrè Djehouty-Messou (Thoutmosis III) avait été retrouvé au Zimbabwe [9]. Ce cartouche date certainement de son règne, vu que deux siècles après sa mort, il avait été oublié devant la grandeur de Ramessou Maryimana (Ramsès II).

En sachant qu’il était l’Horus légitime dès les premières années du règne d’Hatchepsout, Cheikh Anta Diop se demandait si le cartouche ne date pas de la fameuse expédition vers Pount même. Ou alors le cartouche date de son propre règne plus tard, car il est décrit comme souverain de Pount et y a très certainement mené d’autres expéditions.

Tout ceci voudrait donc dire que les Égyptiens, au cours de leurs multiples voyages vers Pount, ont parcouru une zone très étendue. Ce qui est compatible avec la retranscription de la mission d’Hatchepsout par l’égyptologue français Maspero. Hatchepsout, sur ordre d’Imana, résolut de « connaitre la terre de Pouanit (Pount), jusqu’aux extrémités du Ta Notjr (Ta Ntjer) » [9]. Pount était donc le pays le plus divin au sein de la Terre Sainte (Ta Ntjer).

Cette Terre Sainte comprend l’Afrique australe, l’Afrique centrale et les grands Lacs. Elle va de l’Afrique du sud au sud du Soudan-Éthiopie. C’est donc en parcourant la Terre Sainte que les Égyptiens ont connu les nombreux lacs dont le Tanganyika et sont probablement allés au Zimbabwe.

La region des Grands Lacs

Conclusion

Pount était donc un territoire :

  • vivaient des Pygmées
  • on trouvait des forets et beaucoup de lacs
  • Au climat équatorial
  • Avec une végétation qu’on retrouve entièrement dans les grands Lacs.
  • Avec des animaux qui font plus penser à l’Afrique équatoriale.

On ajoute à cela l’origine dans les grands Lacs de la civilisation pharaonique et du peuple égyptien, ainsi que la description en Ouganda, avant la colonisation, d’une population avec de forts éléments culturels égyptiens.

Le Pays Divin de Pount, terre la plus sacrée des Egyptiens anciens, était donc selon toute probabilité bel et bien dans les grands Lacs, avec possiblement une localisation précise en Ouganda.

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

  • [1] The road to Pount, F.D.P. Wicker, The Geographical Journal 164, No. 2 (Jul., 1998), page 155.
  • [2] Herkouf et le pays de Yam, Babacar Sall, Ankhonline numéro 4/5, page 64.
  • [3] The valley of the golden mummies, Zahi Hawass, page 170, editions American University of Cairo press, 2000.
  • [4] A la découverte de la reine Hatchepsout, document radio du Pr Jean Charles Coovi Gomez (Coovi Rekhmiré) et Aïssa Thiam ; publié sur com par Nzwamba, 2016. https://www.youtube.com/watch?v=g8-rds4qXBw
  • [5] Antériorité des civilisations nègres, Cheikh Anta Diop, page 72, éditions Présence Africaine, 1967.
  • [6] The road to Pount, F.D.P. Wicker, The Geographical Journal 164, No. 2 (Jul., 1998), page 164
  • [7] Idem, page 163
  • [8] Joseph K. Pickrell, Nick Patterson, Po-Ru Loh, Mark Lipson, Bonnnie Berger, Mark Stoneking, Brigitte Pakendorf, David Reicj, Eurasian ancestry in Africa, Proceedings of the National Academy of Sciences Feb 2014, 111 (7) 2632-2637; 
  • [8] Nathaniel J Dominy, Salima Ikram, Gillian L Moritz, Patrick V Wheatley, John N Christensen, Jonathan W Chipman, Paul Koch, Mummified baboons reveal the far reach of early Egyptian mariners, Reasearch article, Dec 15 2020. https://elifesciences.org/articles/60860
  • [9] Antériorité des civilisations nègres, Cheikh Anta Diop, page 56-57, éditions Présence Africaine, 1967.
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