La Charte du Mandé: Maât dans la 1ère déclaration des droits de l’Homme de l’histoire

On l’appelle Charte du Mandé ou Serment du Manding (Manden Kalikan), ou encore Serment des Chasseurs (Donsolu Kalikan). Elle fut conçue comme règle de vie et code des valeurs de l’Empire du Mali, lors de l’accession au trône de son fondateur Mansa (empereur) Soundjata Keita.

Reconstitution d’une scène à la cour à Mali – ou Manden – pendant le règne du Mansa Soleiman en 1371, à partir de la description du voyageur arabe Ibn Battuta, qui visita l’empire cette année là. Mali était très probablement à cette époque, l’Etat le plus riche au monde (Illustration de Khepra Burns).
Aire géographique de l’ancien Empire du Mali, couplé aux cartes actuelles des pays africains, ce qui permet de se rendre compte de son étendue.

La charte date du 13ème siècle et existe en deux versions : Celle de 1222 et celle de 1236. Celle de 1222 est organisée en 7 articles. Elle concerne les valeurs, les idéaux et les principes qui servaient de piliers fondamentaux à l’Empire du Mali, tandis que celle de 1236 est organisée en 44 articles et porte sur l’organisation sociale et hiérarchique de l’empire.

La première version de la charte est donc celle de 1222. Et c’est de celle-là que nous parlerons car elle est la plus ancienne. Elle est considérée comme la première et la plus ancienne déclaration des droits humains puisqu’elle précède de plusieurs siècles la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen apparue en Occident, en France précisément, en 1789.

Elle a été édictée sous le sceau de la confrérie des chasseurs, confrérie importante de l’empire du Mali, de laquelle était issu Soundjata Keita lui-même. Le texte ci-dessous est une recension faite par le respecté Youssouf Tata Cissé, auprès du sage et savant Wa Kamissoko. Elle a été publié dans Soundjata, la Gloire du Mali, paru aux éditions Karthala, Arsan en 1991

Youssouf Tata Cissé (1935-2013), Ethnologue, historien malien et spécialiste des traditions mandingues.

1. Les chasseurs déclarent :

Toute vie (humaine) est une vie.
Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie,
Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable qu’une autre vie,
De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.

2. Les chasseurs déclarent :

Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable.

3. Les chasseurs déclarent :

Que chacun veille sur son prochain,
Que chacun vénère ses géniteurs,
Que chacun éduque comme il se doit ses enfants,
Que chacun « entretienne », pourvoie aux besoins des membres de sa famille.

4. Les chasseurs déclarent :

Que chacun veille sur le pays de ses pères.
Par pays ou patrie, Faso,
Il faut entendre aussi et surtout les Hommes ;
Car « tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique. »

5. Les chasseurs déclarent :

La faim n’est pas une bonne chose,
L’esclavage n’est pas non plus une bonne chose ;
Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là,
Dans ce bas monde.
Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,
La faim ne tuera plus personne au Manden,
Si d’aventure la famine venait à sévir ;
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour y prélever des esclaves ;
C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable
Pour allez le vendre ;
Personne ne sera non plus battu,
A fortiori mis à mort,
Parce qu’il est fils d’esclave.

6. Les chasseurs déclarent :

L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
« D’un mur à l’autre », d’une frontière à l’autre du Manden ;
La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.
Quelle épreuve que le tourment !
Surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours.
L’esclave ne jouit d’aucune considération,
Nulle part dans le monde.

7. Les gens d’autrefois nous disent :

« L’homme en tant qu’individu
Fait d’os et de chair,
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
Se nourrit d’aliments et de boissons ;
Mais son « âme », son esprit vit de trois choses :
Voir qui il a envie de voir,
Dire ce qu’il a envie de dire
Et faire ce qu’il a envie de faire ;
Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme humaine,
Elle en souffrirait
Et s’étiolerait sûrement. »
En conséquence, les chasseurs déclarent :
Chacun dispose désormais de sa personne,
Chacun est libre de ses actes,
Chacun dispose désormais des fruits de son travail.

Tel est le serment du Manden
A l’adresse des oreilles du monde tout entier.

Que retenir de ce texte ?

Ce texte stipule dans ses deux premiers articles que toute vie humaine est une vie importante et sacrée, par conséquent toute vie doit être respectée, et qu’on ne doit pas causer du tort a quelqu’un, léser quelqu’un ou s’en prendre à quelqu’un, le martyriser, l’asservir ou le tuer par exemple. On a ici l’énonciation des principes d’égalité entre tous, de respect de la dignité humaine, de respect de soi et de respect des autres.

Dans le troisième article, il est demandé à chacun de veiller sur son prochain, c’est-à-dire d’aimer son prochain comme soi même, et d’accomplir ses devoirs vis-à-vis de ses ancêtres et de sa famille. On a ici l’énonciation des principes de solidarité, de réciprocité, de devoirs vis a vis de soi et des autres, de respect des ancêtres.

Le quatrième article demande à chacun de veiller sur la terre de ses ancêtres (la défendre, la protéger, prendre soin, etc…) et d’y préserver et maintenir la vie, notamment par la reproduction. C’est ainsi qu’il faut comprendre la notion de disparition des Hommes évoquée à la fin de l’article.

Les cinquièmes et sixièmes articles ont un volet économique ainsi qu’un volet d’équité et de justice sociale. Ils concernent la lutte contre la faim pour une redistribution équitable des richesses, ainsi que la lutte contre l’esclavage.

Rappelons que la culture africaine authentique a toujours été contre l’économie esclavagiste, en raison de cette idée de respect de la dignité humaine. C’est pourquoi les sociétés africaines authentiques – depuis l’Egypte antique aux Etats de l’époque impériale – n’étaient pas esclavagistes, comme nous l’avons démontré ici.

Si le texte parle de la lutte contre l’esclavage, c’est parce qu’au 13ème siècle, période à laquelle est datée ce serment, l’esclavage était déjà entré en Afrique et avait déjà fait des ravages, par le biais de la conquête des Arabo-musulmans, entrés sur le continent noir en 639. Vu les dégâts faits par les razzias, le serment des chasseurs érige la lutte contre l’esclavage, comme une de ses priorités.

Le dernier article, le 7ème, appelle chacun à vivre libre selon ses aspirations, en étant vrai et en étant en accord avec lui-même dans le respect des règles. On a ici les principes de la liberté dans tous les domaines (liberté d’expression, etc…), de l’honnêteté, de la franchise vis-à-vis de soi-même et des autres.

Enumérons donc tous les principes défendus par la charte du mandé, comme piliers fondamentaux de l’Empire. Il s’agit de :

  • La préservation de la vie et le respect de la dignité humaine
  • La solidarité
  • L’équité et la justice sociale, avec en priorité la lutte contre l’esclavage
  • La liberté et la vérité

Eh bien lorsqu’on voit ces principes et piliers fondateurs de l’empire du Mali contenus dans la Charte du Mandé, on se rend compte qu’ils sont exactement les mêmes que ceux de la Maât (vérité, justice, ordre, droiture, etc…), le concept au fondement de toute la civilisation qui s’est développée depuis la région des grands lacs jusque dans la Vallée du Nil durant des millénaires.

Le but même de Maât est de préserver et maintenir Ankh, c’est-à-dire la vie. Les valeurs de solidarité, si fondamentaux à l’identité africaine authentique, sont par exemple ressortis par ces extraits des 42 commandements de Maât qui disent en Egyptien ancien :

Iou i redi n i t n heker J’ai donné le pain à l’affamé
Mou n ib De l’eau à l’altéré
Hebes n hayou Des vêtements à celui qui était nu
Mehent n iwi Une barque à celui qui n’en avait pas

Les valeurs d’équité et de justice sociale sont illustrées par ces mots : In n i n ek Maât Je t’ai apporté (à toi Osiris) ce qui est équitable, Dera n i n ek isfet J’ai chassé pour toi l’iniquité.

La Vérité, plus que toute autre valeur est associée à Maât et la liberté était telle en Egypte que Cheikh Anta Diop parlait de « la liberté inaliénable de l’Egyptien ».

Qu’est ce que cela signifie ?

Cela signifie qu’en créant l’empire du Mali sur ces idéaux, les fondateurs se sont basés sur Maât, appelé Dugu/Hoggo/Mogho chez les Mandingues. Cette charte est donc un exemple des piliers et des valeurs sur lesquels nos ancêtres faisaient reposer l’édification des empires, royaumes et sociétés de l’Afrique.

Des lois et règles de ce genre existent donc dans toutes les sociétés africaines authentiques et cela jusqu’à nos jours.

La Charte du Mandé est en réalité l’adaptation des lois de Maât, conservée par la confrérie des chasseurs, dans le contexte de l’empire du Mali.

Maât

Autrement dit nos ancêtres n’ont pas inventé les droits de l’Homme en 1222, mais depuis la plus haute antiquité. Les chasseurs de l’empire du Mali ont reçu cela de leurs aïeuls, et en ont fait une déclaration.

Dans les langues de l’empire mandingue (empire du Mali), les chasseurs fondateurs étaient connus sous le nom de Donsos. Leur role de nourriciers apparait ainsi à travers ces mots de la charte « Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc (pour chasser), La faim ne tuera plus personne au Manden».

A côté de leurs aptitudes de chasseurs, les Donsos étaient aussi des maîtres de la brousse et avaient de ce fait la connaissance des animaux, des plantes alimentaires et médicinales. Cela les amenait parfois aussi à être des guérisseurs. Ils savaient aussi défendre leurs térritoires.

En raison de leur activité, les Donsos voyageaient beaucoup, ce qui fait qu’on retrouve leurs descendants un peu partout en Afrique de l’Ouest, principalement au Burkina Faso, Mali, en Cote d’Ivoire, en Guinée. L’influence coloniale européenne ayant déformé leur nom, les Donsos sont connus aujourd’hui sous le nom de Dozos.

Les Donsos

Un Donso authentique possède par conséquent une éthique, des valeurs morales, respecte la vie humaine et de ce fait ne doit pas être un criminel, autrement il est un imposteur.

C’est le lieu de rendre Hommage à tous les Donsos, c’est-à-dire ceux qui perpétuent les valeurs héritées de nos ancêtres et édictées sous la direction du Mansa Soundjata Keita.

Mémorial de la charte du Mandé de 1236 au Mali actuel, à l’endroit où ces évènements ont pris place selon les traditions mandingues. L’étude de la Charte nous permet ainsi de dégager les valeurs humanistes fondatrices des Etats Africains en général, du plus grand de l’époque impériale en particulier, et nous montre qu’il faudra refonder les Etats Africains du futur sur la Maât.

Pour en savoir plus sur Maât, cliquez ici

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

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