Ranavalona Manjaka, la plus grande des reines de Madagascar

Visionnaire ou diable ? Progressiste ou rétrograde ? Adulée, détestée, controversée, cette femme a marqué comme aucune autre reine l’histoire de la grande île. 

Ranavalona

C’est en 1792 qu’Andrianampoinimerina fonda le royaume d’Imerina et commença à l’étendre à une grande partie de l’île de Madagascar. Son fils et successeur Radama continua cette extension grâce à des accords avec les britanniques. Sa communauté d’intérêts avec les anglais le poussa à laisser entrer les missionnaires sur son sol. Les européens transcrivirent en écriture latine le Malgache, créèrent des écoles techniques, dotèrent le roi d’une armée moderne, ce qui lui permit de contrôler les deux tiers de l’île.

Madagascar fit un bond dans le progrès technique grâce aux anglais. Mais cette instruction venue de l’étranger était également religieuse et c’est une armée de chrétiens prosélytes européens et malgaches qui se mirent à substituer les formes de Dieu de la spiritualité malgache par la figure de Jésus Christ. A la mort de Radama à 36 ans, c’est son épouse qui monta sur le trône.

Fille d’Andrian-Tsala-Manjaka, Ramavo fut élevée à la cour en hommage au service rendu par son père au roi fondateur Andrianampoinimerina. Elle était tellement aimée par ce dernier qu’il la maria à son fils Radama et stipula que c’est l’enfant né de cette union qui succèderait à Radama et non Rakotobe, fils de la plus âgée des sœurs de Radama, comme le veut la tradition matriarcale commune à tout le continent africain. Ramavo devint donc reine en 1828 sous le nom de Ranavalona.

Radama
Radama

Méfiante à l’égard de l’emprise grandissante des anglais à la cour, elle en expulsa le principal acteur. Mais essuyant une attaque des français à Tamatave, elle renoua stratégiquement avec les britanniques. La reine appréciait les apports techniques des missionnaires européens mais constatait que son peuple, y compris les élites, changeait devant l’avènement du christianisme.

Son pouvoir, comme sur le continent, reposait sur l’adoration des formes de Dieu garantes du pouvoir royale (Sampimoanja-kana en Malagasy). Son autorité et les fondements de la société étaient donc ébranlés par la figure montante du Christ. Elle ordonna par conséquent que l’éducation donnée par les européens soit laïque. Elle s’adressa aux européens le 26 Février 1835 à travers ces mots restés célèbres :

« En reconnaissance du bien que vous avez fait à mon pays, en enseignant la sagesse et la connaissance, je vous exprime tous mes remerciements. J’ai pu être témoin de ce que vous avez été pour Radama, mon prédécesseur, et, depuis mon avènement, vous avez continué à rechercher le bien de mes sujets. Aussi je vous déclare que vous pouvez suivre toutes vos coutumes. N’ayez aucune crainte, car je n’ai nullement l’intention de modifier vos habitudes…

… Mais si je vois quelques-uns de mes sujets vouloir changer le moins du monde les règles établies par les douze grands rois, mes ancêtres, je n’y saurai consentir ; car je ne permettrai pas que les hommes viennent changer quoique ce soit à ce que j’ai reçu de mes ancêtres, dont j’ai accepté, sans honte et sans crainte, toutes les idées. Il vous est loisible d’enseigner à mon peuple la science et la sagesse ; mais quant à ce qui est de toucher aux coutumes des ancêtres, c’est un vain travail, et je m’y opposerai entièrement.

Aussi, en ce qui concerne la religion, soit le dimanche, soit la semaine, les baptêmes et les réunions, j’interdis à mes sujets d’y prendre part, vous laissant libres, vous, Européens, de faire ce que vous voudrez… » [1]

Montrant son attachement viscéral à la tradition spirituelle, elle aurait ajouté « Je ne ressens ni honte ni crainte au sujet des coutumes de mes ancêtres ».

Les missionnaires refusèrent de n’enseigner que les techniques, ils furent par conséquent expulsés par la reine. Les malgaches christianisés, défièrent le pouvoir royal et se révoltèrent contre les nouvelles dispositions prises par la souveraine. Devant l’insurrection montante, Ranavalona Manjaka prit des mesures d’exception. Une véritable chasse à l’homme contre les chrétiens s’organisa.

On procéda à des mises à mort de centaines de chrétiens, un climat de dénonciation digne de la deuxième guerre mondiale s’installa. Le jugement traditionnel africain par ingestion de poison – afin de déterminer qui est coupable – s’étendit, augmentant le nombre de morts. Le christianisme quant à lui, loin de s’affaiblir, se renforça dans la clandestinité. La reine poursuivit également les guerres de conquête de Radama, avec son lot de malheur pour les populations conquises, mais étendant encore Imerina.

Afin de rompre son isolement diplomatique et avide de progrès techniques, Ranavalona envoya des émissaires en France et en Angleterre en 1836 pour négocier. Elle chargea des techniciens européens d’établir des plantations de canne à sucre et une usine de production de sucre et de rhum. Mais c’est Jean Laborde, un aventurier français à Madagascar, qui grâce aux fonds royaux, resta dans les mémoires pour la construction d’une usine géante de 20 000 employés à Mantasoa et la construction de la Rova, le palais de la reine qui domine toujours la capitale Antananarivo. Gagnant sa confiance, il fut introduit à la cour où il s’évertua à retourner le prince héritier Rakoto contre sa mère.

Les ambassadeurs de Ranavalona en Europe
Les ambassadeurs de Ranavalona en Europe

La détente des relations avec les européens poussa la reine à rouvrir l’île à ceux-ci. Ils en profitèrent pour faire entrer des missionnaires qui se faisaient passer pour des médecins. Soutenus par les européens, Rakoto et la jeune classe montante fomentèrent un coup d’Etat contre la reine. Le plan fut découvert, les européens fautifs expulsés, Ranavalona dévastée par la trahison de son fils. Elle passa les dernières années de sa vie dans la tristesse et la solitude. Elle mourut en 1861.

Rakoto dit Radama II
Rakoto dit Radama II

Rakoto devenu Radama II, puis Rasoherina et Ranavalona II, ouvriront grand le pays aux européens, qui finiront par le prendre en 1885, en mettant violemment un terme au règne de Ranavalona III. La guerre de conquête de Madagascar par la France a fait près de 500 000 morts, soit un sixième de la population malgache [2].

Qua faut-il retenir de Ranavalona Manjaka ?

Loin de l’historiographie européenne qui la traite de diable et de sanguinaire, il faut analyser à froid les enseignements de cette époque. Les crimes commis par cette dame de fer sont extrêmement regrettables. On peut imaginer l’atmosphère dans l’île du temps de son règne. Mais il faut dire que ce sont des actes posés par une femme qui avait compris que la culture est un rempart contre la domination, et que l’aliénation spirituelle est le début de la mort d’un peuple.

Elle avait compris que les religions étrangères n’étaient pas venues nous apprendre l’existence de Dieu que nous avons connu avant tout le monde, mais avaient pour seul but la domination politique. C’est bien pourquoi les européens ont refusé de donner une éducation technique et sans christianisme aux malgaches. La suite lui a donné raison. Il faut enfin saluer infiniment l’aspiration au progrès technique de la reine. Ranavalona Manjaka a saisi il y a 180 ans ce que nous disons ici depuis peu à savoir que l’Afrique doit importer de la technique, pas de la culture.

La Rova, le palais de la reine construit par Laborde et enrichi de murs de pierres par l'anglais Cameron L'édifice domine aujourd'hui la capitale de Madagascar
La Rova, le palais de la reine construit par Laborde et enrichi de murs de pierres par l’anglais Cameron
L’édifice domine aujourd’hui la capitale de Madagascar

Hotep !      

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

 

Sources :

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