Les Noirs dans l’invention de la bombe atomique

Création terrible et prodigieuse, la bombe atomique est considérée comme l’arme ultime. Elle trône, par son importance, en tête de l’arsenal des quelques pays qui la possèdent. Et comme on le verra, des savants noirs de très grande qualité ont pris part à son invention.

En 1938, l’Allemagne nazie découvre la fission nucléaire, c’est-à-dire la possibilité de briser le noyau – d’où le terme « nucléaire » – d’un atome. Ce processus produit une énergie phénoménale, sous forme de chaleur/feu. Des savants américains ou alliés – dont Einstein qui le regrettera plus tard – pensent alors qu’Hitler s’apprête à partir de ces connaissances, à développer une arme extrêmement destructrice.

Ils écrivent au président américain Roosevelt, qui décide donc de lancer la création de la bombe atomique, dans un projet ultrasecret baptisé Manhattan. Les autorités américaines rassemblent des experts locaux et d’Europe pour travailler sur ce projet colossal et complexe.

Pour comprendre le rôle joué par chaque savant noir, il faut d’abord rappeler en quoi consiste la bombe atomique. Chaque atome possède en partie des charges neutres (neutrons). Ces neutrons font partie du noyau de l’atome. L’uranium, matière retrouvée dans la nature, est également un atome possédant un noyau. Lorsque son noyau est bombardé par un neutron externe, il se brise (fission) et libère de la chaleur. En se brisant, il libère aussi des neutrons qu’il possède. Ces neutrons vont à leur tour entrer en collision avec les autres atomes d’uranium voisins, qui vont fissionner et libérer de la chaleur et des neutrons etc… Il se produit donc une réaction en chaîne à l’origine de l’explosion gigantesque.

Le principe de la réaction nucléaire : Un neutron (en gris) est bombardé sur un atome d’Uranium (ou de Plutonium), qui possède des charges neutres (gris) et positives (+). L’atome se brise (fission), libérant une forte énergie/feu, ainsi que 3 neutrons qui vont aussi aller briser d’autres atomes d’Uranium/Plutonium voisins, qui à leur tour vont libérer de l’énergie et des neutrons etc…

La fission (brisure) est particulièrement facile quand on possède de l’Uranium sous sa forme dite 235 ou quand il est transformé en Plutonium. Or l’uranium est majoritairement, dans la nature, sous sa forme 238.

Pour faire donc une bombe atomique, il faut transformer le 238 en 235 (dit enrichissement), ou alors le transformer en plutonium. Il faut ensuite armer le 235 ou le plutonium dans un missile, et lancer le tout avec des explosifs, pour qu’à la détonation la réaction avec les neutrons se produise, faisant ainsi l’explosion.

Les Africains-Américains dans le projet Manhattan

Moddie Taylor (1912-1976), chimiste au parcours brillant et titulaire d’un doctorat, il a travaillé sur les propriétés chimiques des métaux rares de la Terre pendant le projet Manhattan. En 1946, le secrétaire de la guerre Pat Robertson lui remet un certificat de mérite pour sa contribution à l’élaboration de la bombe atomique. Après la guerre, il devient professeur à l’Université noire Howard et dirige le département de chimie. Il fut un des chimistes les plus encensés de sa génération. En 1960 il publie « First Principles of Chemistry », manuel de chimie utilisé dans les universités partout aux États-Unis.

Robert Omohundro (1921-2000), titulaire d’un Bachelor en mathématiques et d’un master en physiques de l’Université Howard. Il a travaillé sur l’identification des atomes à travers leurs masses, ainsi que sur la détection et la mesure de la radioactivité des armes nucléaires. Cette méthode de détection sera employée dans les aéroports pour prévenir le trafic d’uranium. Après la guerre, il invente un outil permettant de prévenir la propagation du plutonium dans l’air. Il fut l’auteur de près de 40 articles scientifiques.

George Reed (1920-2015), titulaire d’un master de chimie de l’université noire Howard. Il a travaillé pendant le projet Manhattan sur l’obtention de l’uranium fissionnable, c’est-à-dire l’Uranium 235. Son doctorat obtenu en 1952, il enseigne à l’Université de Chicago et continue dans le développement du nucléaire. Il travaille également avec la NASA pour analyser les rochers obtenus sur la lune.

Moddie Taylor et Robert Omohundro
George Reed

George Sherman Carter (1911-1998), diplômé de biologie et employé comme physicien pendant le projet Manhattan ; Harold Evans (1907-1995), titulaire d’un master de chimie et enseignant à l’université noire de Géorgie. Les deux savants ont travaillé sur la fission nucléaire. Harold Evans continuera sa carrière dans le domaine du nucléaire.

Lloyd Quaterman (1918-1982), diplômé d’un Bachelor en chimie obtenu à l’Université noire de St Augustine. Il a travaillé pendant le projet Manhattan sur l’isolation de l’Uranium fissionnable. Titulaire d’un master, il va poursuivre ses travaux pendant 30 ans au laboratoire Argonne de l’université de Chicago, produisant des avancées sur le fluor et le xénon. Il encourageait régulièrement les Africains-Américains à poursuivre des carrières scientifiques.

Samuel Massie (1919-2005), diplômé d’un master de chimie à 21 ans, ce surdoué n’a que 23 ans quand il entre dans le projet Manhattan. Il a travaillé sur le développement des différents types d’uranium. Il obtient son doctorat à l’âge de 27 ans et retourne enseigner à l’Université noire de Fisk.

Chef du département de chimie à Fisk, président de l’Académie des sciences de l’Etat de l’Oklahoma, président de l’Université de Caroline du Nord à Durham, premier noir nommé Professeur par le président américain à l’académie navale d’Anapolis, Samuel Massie a également créé un curriculum d’études pour Noirs et produit des avancées dans le traitement de la méningite, l’herpès, la gonococcie, le cancer, le paludisme, les maladies mentales. Il est reconnu à ce jour comme un des plus grands chimistes de l’histoire.

Samuel Massie

Carolyn B Parker (1917-1966), diplômée d’un Bachelor en mathématiques à l’université de Fisk et d’un master à l’Université du Michigan, elle a travaillé sur le polonium pendant le projet Manhattan. Le polonium servant à la détonation de la bombe. Après la guerre, elle obtiendra un master et un doctorat en physiques du prestigieux MIT. Enseignante de physiques à Fisk, elle contracte un cancer du sang due à son exposition au polonium. Elle meurt à 47 ans.  

Carolyn B Parker et Lloyd Quaterman

Edwin R Russel (1913-1996), titulaire d’un Bachelor de l’université noire de Benedict en Caroline du Sud puis d’un master en chimie à Howard, il a travaillé sur l’obtention du Plutonium à partir de l’Uranium. Après le projet Manhattan, il devient chef du département des sciences de l’Université Allen. Continuant ses recherches dans le nucléaire, il obtient 11 brevets d’inventions pour ses innovations dans le domaine. A sa mort, l’Etat de Caroline du Sud l’a reconnu comme un de ses plus grands hommes.

Jesse Ernest Wilkins (1923-2011), entré à l’université de Chicago à 13 ans, il obtient son doctorat en mathématiques à 19 ans. Il enseigne à l’université noire Tuskeegee puis rejoint le projet Manhattan où il travaille au Met Lab de Chicago, sur le développement du Plutonium et la création du réacteur nucléaire pour réaliser la collision avec le neutron. Il obtient ensuite un bachelor et un master en ingénierie mécanique. Président de la Société Nucléaire Américaine, il est Professeur distingué de physiques mathématiques appliquées à l’université noire Howard, puis Professeur distingué de physiques mathématiques et de mathématiques appliquées à l’université noire Clark Atlanta. Il publiera de nombreux travaux dans les domaines des mathématiques, de l’optique et de l’ingénierie nucléaire.

Ralph Gardner-Chavis (1922-2018), titulaire d’un Bachelor en chimie, il a travaillé sur la préparation du Plutonium pour obtenir la bombe. Il obtient son master et son doctorat tout en travaillant par la suite dans l’industrie pétrolière. Chercheur et enseignant à l’université d’Etat de Cleveland, il défend la mise sur pied d’un programme pour Noirs et s’intéresse au développement psychologique des nourrissons. Il publiera de nombreux articles scientifiques tout au long de sa carrière.

Edwin Russel, Jesse Wilkins, Ralph Gardner-Chavis

William Knox (1904-1995), titulaire d’un Bachelor de l’université de Harvard, puis d’un master et d’un doctorat en chimie obtenus à MIT en 1929 et 1935, il est chef du département de chimie de l’Université noire de Talladega en Alabama en 1942. Il rejoint le projet Manhattan en 1943 et travaille sur la séparation des Uranium 238 et 235. Il sera le seul superviseur noir de tout le projet, sans savoir – comme beaucoup à l’époque – qu’il mettait au point la bombe atomique.

Son expérience lui ouvre les portes de la compagnie Kodak, où son travail de recherche le rend propriétaire de 21 brevets d’invention en 25 années. Il fut un militant pour les droits des Noirs et mis sur pied des bourses pour Africains-Américains. Son frère Lawrence Knox, titulaire d’un doctorat en chimie de l’Université de Harvard, participa également au projet Manhattan, grâce à ses travaux sur la quinine, qui pensait-on permettait de mesurer les effets de la bombe.  

Lawrence Knox et William Knox

Enfin d’autres savants noirs ont pris part à l’équipe du Met Lab de Chicago qui travailla sur la production de Plutonium et la construction du premier réacteur nucléaire servant à bombarder l’uranium et le plutonium par des neutrons. Ce sont :

  • Jasper Jeffries (1912-1994), diplômé d’un master en physiques et docteur en chimie et en mathématiques, formé initialement à l’université noire de WVSC. Après la guerre, il sera chef du département de physique puis chef du département de mathématiques dans deux universités.
  • Harold Delaney (1919-1994), titulaire d’un master de chimie puis d’un doctorat d’Howard, il occupera de nombreuses hautes positions académiques et dans le monde de l’industrie. Il sera en particulier vice-président de l’association des Universités d’Etat des États-Unis.
  • Blanche J Lawrence, diplômée de Tuskeegee, certainement la plus vénérable des universités noires. Elle a continué dans le domaine du nucléaire en travaillant à l’université de Chicago.
  • Benjamin Franklin Scott, diplômé de l’université noire de Morehouse.
Blanche Lawrence et Harold Delaney

Il convient d’ajouter que l’uranium qui a servi aux bombes larguées sur le Japon, a été pris en majorité à la RD Congo. Si la bombe atomique a fait entrer le monde dans une ère très dangereuse, on peut à la lecture de ce qui précède, voir le très grand génie de ces savants noirs et l’efficacité du système universitaire africain-américain des États-Unis de l’époque, dans un pays historiquement raciste.

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

    • Black Past
    • Knox News 
    • Association nucléaire canadienne
    • thehistorymakers.org
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