Congo-Océan, l’enfer de l’esclavage colonial

Pendant 13 années, pour son enrichissement, la France va appliquer au Congo-Brazzaville, des méthodes dignes de l’univers concentrationnaire d’Amérique…

En 1875, Pierre Savorgnan de Brazza est envoyé par la France pour préparer la conquête des territoires en Afrique centrale. Au Congo, « l’explorateur » est pressenti comme hostile et fait face à une résistance armée, mais est accueilli à Mbé dans le royaume des Batékés.

Savorgnan de Brazza

Animé par le fantasme de l’hypersexualité de la femme africaine, il commet le sacrilège de violer une princesse vierge, gardienne du feu royal, qui symbolise la vitalité du roi conformément à la tradition africaine. Il déstabilise ainsi gravement la royauté et prépare l’annexion des territoires sur la rive gauche du fleuve Kongo par la France.

Le pays est alors cédé à des entreprises d’exploitation de matières premières, sous la tutelle de Paris. Il devient une partie de l’Afrique équatoriale française, avec la Centrafrique, le Gabon et le Tchad.

Colonies, ces pays produisent des richesses telles l’ivoire, le bois, le coton, le cuivre, le zinc, le latex, les oléagineux, que les colons peinent à exporter. Le tout-puissant fleuve Kongo étant impraticable à partir de Brazzaville, la France est obligée d’utiliser le chemin de fer Kinshasa-Matadi du Congo voisin (actuel RDC) ; infrastructure construite dans le cadre de la politique esclavagiste des Belges en RD Congo, qui aura fait 12 à 32 millions de morts [1].

Après des décennies d’hésitations, la France entreprend donc en 1921 de construire son chemin de fer entre Brazzaville et Pointe-Noire au bord de l’océan, d’où le terme Congo-Océan. Ce projet va amener l’enfer sur le pays.

Le chemin de fer avait pour but de transporter les matières premières africaines de Brazzaville à l’Océan, sans passer par la RD Congo alors colonie belge

Les autorités coloniales décident que tous les « mâles adultes » sur le tronçon du chemin de fer serviront de gré ou de force à sa construction. A l’annonce de l’enrôlement, les populations vont se cacher dans les forêts, souvent avec l’aide de leurs chefs. Un se suicidera pour ne plus vivre cette situation.

L’administration coloniale razzie donc des villages, attrapent les hommes au lasso comme des chevaux, et les conduits la corde au cou vers les chantiers. Il est vite réalisé que ces hommes ne suffiront pas. On va donc les chercher dans tout le Congo, puis en Centrafrique, au Cameroun, jusqu’au Tchad. Le Gabon est épargné, sa faible population servant déjà à l’exploitation forestière du pays.

Depuis tout le Congo et depuis les autres pays, des hommes africains, mis en joue par des fusils, marchent affamés, au milieu des fourmis et des serpents, pendant des jours, des semaines, pour rejoindre les chantiers. Les Saras du Tchad marchent de chez eux jusqu’en Centrafrique, sont embarqués sur le fleuve Oubangui puis rallient le fleuve Kongo. Et après avoir été débarqués, marchent de Brazzaville jusqu’aux chantiers. Ils tombent comme des mouches.

Pour faire des économies, les sociétés de construction décident de n’utiliser presqu’aucune machine. Le Nègre fera tout. Telle une mule, le Nègre porte tout : des barils de ciment, des rails de 15 mètres de long, de la terre déblayée qu’il va verser en haut de la colline dans un camion, par des acrobaties hallucinantes. Le Nègre coupe les arbres à la hache. Le Nègre casse des pierres au marteau. Le Nègre creuse la terre à la pioche.

Le Nègre servira même à porter les colons

Les Africains travaillent 7 jours sur 7, sont fouettés quand ils sont lents, fusillés quand ils tentent de s’évader. Méprisés, ils sont entassés dans des dortoirs insalubres, le torse nu, épuisés, hébétés, recouverts de terre et trempés par les pluies de la forêt tropicale. Ils sont d’une saleté repoussante. Les entreprises coloniales ne font pratiquement aucun effort pour les maintenir en vie, car l’administration s’engage à remplacer ceux qui meurent par d’autres pris, tout simplement.

Certains ne reçoivent pour ration de nourriture que du poisson salé à peine cuit. La malnutrition, les pneumonies, les dysenteries, le paludisme, la maladie du sommeil, le tout aggravé par la dépression, les balaient tel un couperet infernal. Ils meurent par milliers. 1 homme sur 3 décède dans certaines parties du chantier. Les Saras du Tchad, déportés de leur savane à la forêt pour travailler sur la partie la plus difficile du tronçon – les montagnes du Mayombe – sont les plus dépressifs et inadaptés de tous. Leur taux de mortalité dépasse l’entendement.  

Le français André Gide qui avait visité le Congo en 1926 dit « Les Mandjia épuisés… préfèrent tous actuellement même la mort au portage. Les villages se désagrègent, les familles s’égaillent, chacun… va vivre dans la brousse, comme un fauve traqué… C’est par centaines que, ces derniers mois, les Mandjia sont morts de faim et de misère » [2].

Les évadés racontent l’enfer, et partout en Afrique centrale, les populations sont au courant de l’horreur de ces camps de concentration. Chacun connaît le chantier de « la machine qui tue ». Certaines se réfugient dans les montagnes et lancent des roches sur les agents coloniaux venus les prendre. D’autres résistent avec des couteaux, des fusils, tendent des embuscades pour libérer les captifs.

La résistance embrase le nord du Congo et le sud-est du Cameroun, la France répond par une brutale répression. Des villages sont brulés, des populations entières vont fuir et traverser les frontières pour se réfugier au Nigéria, au nord du Cameroun, au Soudan, ou dans l’enclave angolaise de Cabinda.

Des activistes et parlementaires français et internationaux, notamment André Gide, choqués par la situation, interpellent les autorités, qui prennent des mesures sanitaires et mécanisent le chantier pour baisser la mortalité.

En 1934, soit 13 années après le début, le chemin de fer Brazzaville-Pointe Noire voit le jour. La France peut ainsi profiter pleinement des richesses volées aux Africains. Le chantier aura mis en esclavage 127 000 Africains et aura couté la vie à 18 à 23 000 d’entre eux.

Le chemin de fer terminé

En 2013, le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) porte plainte contre l’Etat français et la Spie-Batignoles – continuité de la SCB qui dirigea le chantier – pour crimes contre l’humanité. Le CRAN réclame des réparations à hauteur de 10 millions d’Euro pour les peuples du Congo et la construction d’écoles et de centres de santé autour de la voie ferrée. Le dossier est en cours mais François Hollande, président de la France entre 2012 et 2017, s’est opposé à des réparations éventuelles.     

La mise en esclavage des Africains par l’Europe ne s’est donc pas terminée vers 1880 avec la fin de la traite transatlantique. Elle s’est poursuivie sur le continent et ne s’est arrêtée que dans les années 1970, avec l’indépendance des anciennes colonies portugaises. C’est en 1946, sous l’impulsion du président de la Côte d’Ivoire – alors député à l’assemblée française – Felix Houphouët-Boigny, qu’elle a pris fin dans les colonies françaises.

Bien des Européens aiment nous dire arrogamment qu’ils ont construit des infrastructures chez nous pour nous civiliser. On voit donc avec l’exemple de Congo-Océan, de quoi ils parlent exactement.

Hotep !  

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes : 

  • Notes sur la construction du chemin de fer Congo-Océan (1921-1934), par Gilles Sauter
  • La ligne Congo-Océan : une traverse, un mort ; par Balthazar Gibiat, publié sur geo.fr
  • Intervention vidéo du Pr Théophile Obenga sur Savorgnan de Brazza 
  • Ligne Congo-Océan : 100 ans après, des morts toujours présents ; par Dominique Cettour-Rose, publié sur franceinfo.tv
  • [1] Afrique noire, sol, démographie et histoire; Louise-Marie Diop-Maes, page 251.
  • [2] Idem, page 241.     
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